PREFACE
Voici un petit trésor.
Je n'exagère guère, même si ma passion est grande pour ces régions du Nord, leurs hommes et leurs richesses. Pascal Bacro a en effet entrepris de rassembler, sur son site Internet, les œuvres et les biographies de dizaines de trouvères, de chroniqueurs, de poètes de Flandre, Artois, Hainaut, Picardie, dont beaucoup sont aujourd'hui oubliés même si une rue, ici ou là, porte encore leurs noms.
Ces hommes, amoureux de la langue d'oïl, interprétaient leurs œuvres dans des académies poétiques, souvent appelées "puis", du latin podium: le podium des poètes. Des ménestrels tournaient de ville en ville, de château en château, disant leur répertoire, le rendant populaire. Nous l'avions oublié, ou presque.
Bien entendu, mémoire nous était restée du chroniqueur Froissart, né à Valenciennes, toujours à l'affût de l'évènement, journaliste en somme, à la langue souple et imagée. Comme de Philippe de Commynes, fils d'un grand bailli de Flandre, intellectuel capable de convictions successives et variées, réaliste un peu cynique.
Mais qui se souvient de Moniot d'Arras, Guillaume Dufay, Gautier de Coincy, et de tant d'autres ici rassemblés ?
Bien sûr, certains, comme dans toutes les chansons courtoises, expriment sans trop d'originalité le même amour exsangue d'un pâle adorateur pour une dame de bien, si haut perchée qu'elle en est inaccessible. Ainsi le lillois Jehan Frémaux :
Jamais je ne sus renoncer
malgré les maux que j'endure
à me soumettre à l'amour parfait.
Mais je crains qu'en VISANT trop haut
amour ne veuille me rendre fou.
D'autres, en revanche, s'écartent des sentiers poétiques trop EMPRUNTÉS. Andrieu Contredit, de Douai, un des maîtres du lai lyrique du XIIIe siècle, conte ainsi qu'ayant trouvé une bergère amoureuse d'un certain Robin, il parvint à la séduire :
Je la pris et la soumis
et lui fis tout le jeu de l'amour.
Les belles dames n'étaient pas toutes inaccessibles à en croire Durand, de Douai lui aussi, un peu machiste quand même, ce qui n'était pas rare :
Durand qui termine son conte
Dit que jamais Dieu ne créa fille
Qu'on ne put avoir pour de l'argent.
Plus loin encore des sentiers battus, un Conon de Béthune, chevalier-poète, n'hésitait pas à dire leur fait aux grands, comme dans cette chanson de croisade :
Jamais quel que soit mon désir,
je ne resterai avec ces tyrans
qui se croisent pour prélever la dîme
sur les clercs, les bourgeois et les sergents.
Plus se croisèrent par convoitise que par la foi.
Quelle que soit l'estime que l'on porte, ou non, aux clercs, bourgeois et aux sergents, comment ne pas retrouver ici l'esprit de révolte contre l'hypocrisie ou l'injustice qui inspire les gens du Nord, pourtant amoureux de l'ordre ?
À travers les poèmes de ces trouvères revit ainsi une société, apparaissent les traits qui seront ceux d'un peuple entier, ardent au travail mais aussi à l'amour, lucide et fier, toujours prêt à la fête. Il faut donc remercier Pascal Bacro de nous restituer cette belle part de notre passé, cette littérature médiévale qui n'était pas fluette mais grande, multiple et riche, belle pour tout dire.
Jacques Duquesne
http://www.medievalenfrance.com/site/index.htm