A tous les amis occitans et les autres je n'ai pu m'empecher de mettre ici la narration de ce grand moment et grand combat de la croisade, Le siège de 1240, de plus ceci est un texte traduit mais contemporain des evenements.
Bien evidemment vous aurez compris à la tonalité du texte que celui ci ne fait pas la part belle au occitans.... c'est le moins que l'on puisse dire;
Rapport du sénéchal de Carcassonne, Guillaume des Ormes[1], à la Reine Blanche de Castille[2], sur le siège de Carcassonne par l'armée dirigée par Raymond Trencavel[3]. 13 octobre 1240.
Traduction
(d’après Jean-Pierre Panouillé, Carcassonne, le temps des sièges, Paris : Caisse Nationale des Monuments Historiques/Presses du C.N.R.S., 1992).
À l'excellente et très illustre Dame Blanche, reine des Français par la grâce de Dieu, son humble, dévoué et fidèle serviteur, Guillaume des Ormes, sénéchal de Carcassonne, salut. Madame, qu'il soit porté par les présentes à la connaissance de votre Excellence, que la Cité de Carcassonne a été assiégée par celui qui se prétend vicomte et par ses complices, le lundi après l'octave de la nativité de la Sainte-Marie[4]. Immédiatement, nous qui étions dans la Cité, nous leur avons enlevé le bourg de Granoillent qui est en avant de la porte de Toulouse, nous y prîmes une grande quantité de bois qui nous fut très utile. Ledit bourg s'étend depuis la barbacane[5] de la Cité jusqu'à la pointe de ladite Cité. Le même jour, grâce à la multitude de gens dont il disposait, l'ennemi nous enleva un moulin[6]. Ensuite, Olivier de Termes[7], Bernard-Hugues de Serralongue[8], Guilhem de Niort[9] et leurs hommes s'installèrent entre la pointe de la Cité[10] et le fleuve. Le même jour, utilisant les fossés qui étaient là et détruisant les chemins qui étaient entre eux et nous, ils se retranchèrent si bien que nous ne pouvions plus arriver jusqu'à eux. Un autre détachement comprenant Pierre de Fenouillet[11], Renaud du Pech, Guilhem Fort, Pierre de la Tour et beaucoup d'autres de Carcassonne, s'établit entre le pont et la barbacane du château. Ils firent cela dès qu'ils arrivèrent et il y avait en ces deux endroits tant d'arbalétriers que personne ne pouvait sortir de la Cité sans être blessé. Ensuite, ils dressèrent un mangonneau[12] face à notre barbacane ; aussitôt, contre cet engin, nous dressâmes dans notre barbacane une très bonne pierrière turque[13] qui tirait contre ledit mangonneau et tout autour de lui, si bien que, quand ils s'apprêtaient à tirer contre nous, voyant la perche de notre pierrière se mouvoir, ils s'enfuyaient et abandonnaient complètement leur mangonneau. Ils avaient fait là des fossés et des palissades. Toutes les fois que nous mettions la pierrière en action, nous les faisions fuir faute de pouvoir aller jusqu’à eux à cause des fossés, des pieux acérés et des trous qui étaient là. D’autre part, Madame, ils commencèrent à creuser une mine[14] contre la barbacane de la porte narbonnaise, mais dès que nous entendîmes le travail des mineurs, nous contre-minâmes et nous fîmes dans la barbacane un mur de pierres sèches, grand et fort, de manière à bien garder la moitié de la barbacane. Alors ils allumèrent du feu dans la galerie qu’ils avaient faites, une fois les étais consumés, une partie de la barbacane se détacha. Ils commencèrent aussi à miner une autre tour des lices[15], nous contre-minâmes et nous leur enlevâmes la galerie qu’ils avaient faite. Ensuite, ils commencèrent à miner entre nous et un mur et ils nous renversèrent les lices sur une longueur de deux créneaux, mais nous fîmes aussitôt entre eux et nous une bonne et forte palissade.
Ils minèrent aussi à la pointe de la Cité, vers la demeure de l’évêque, en creusant de très loin, ils arrivèrent en passant sous un mur sarrasin, jusqu’au mur des lices ; quand nous nous en aperçûmes, nous fîmes une grande et forte palissade entre eux et nous, plus haute dans les lices, et nous contreminâmes. Ils mirent le feu à leur galerie et détruisirent environ dix brasses[16] de notre crénelage. Nous fîmes alors en toute hâte une bonne et forte palissade surmontée d’une bonne bretèche avec de bonnes archères, si bien qu’aucun d’entre-eux n’osa s’approcher de nous. Madame, ils entreprirent aussi de miner la barbacane de la porte du Razès[17] et là ils atteignirent une grande profondeur, car ils voulaient arriver à notre mur ; ils firent là un trajet extraordinairement grand. Mais lorsque nous nous en aperçûmes, nous fîmes aussitôt une grande et forte palissade dans les lices, en haut et en bas, et pareillement nous contreminâmes ; nous les rencontrâmes et nous leur prîmes leur galerie.
Sachez aussi, Madame, que depuis le début du siège, ils ne cessèrent de lancer des assauts contre nous. Mais nous avions de bonnes arbalètes en quantité ainsi que des gens courageux et décidés à se défendre, aussi, à chaque assaut, l’ennemi perdit beaucoup de monde. Un dimanche, ils réunirent tous leurs soldats, les arbalétriers et les autres, et tous ensemble ils donnèrent l’assaut à la barbacane en dessous du château ; nous descendîmes jusqu’à la barbacane avec tant de pierres et de carreaux d’arbalète dont nous les accablâmes qu’ils se retirèrent avec plusieurs morts et blessés. Le samedi suivant, après la Saint-Michel[18], ils donnèrent un très grand assaut ; grâce à Dieu et grâce à nos gens bien décidés à défendre la ville, nous les avons repoussés, plusieurs parmi eux furent blessés ou tués, alors que de notre côté, grâce à Dieu, il n’y eut ni tué ni blessé grave. Puis, le jeudi soir suivant[19], ils apprirent que vos gens, Madame, arrivaient à notre secours ; alors ils mirent le feu aux maisons du bourg de Carcassonne et détruisirent entièrement les logis des frères mineurs[20] et ceux du couvent de Sainte-Marie qui étaient dans le bourg et dont ils avaient pris le bois pour faire leurs palissades. Tous ceux qui participaient au siège se retirèrent de nuit, furtivement, ceux du bourg aussi. Je dois le dire, Madame, que par la grâce de Dieu, nous étions bien préparés à attendre vos secours ; malgré leur siège, même le plus pauvre ne manqua pas de vivres. Au contraire, Madame, nous avions quantité de blé et de viande qui nous aurait permis d’attendre très longtemps, si cela avait été nécessaire, vos secours.
Sachez, Madame, que lesdits malfaiteurs tuèrent, le lendemain de leur arrivée, 33 prêtres et autres clercs qu’ils avaient trouvés en entrant dans le bourg[21].
Sachez enfin, Madame, que le seigneur Pierre de Voisins, votre connétable pour Carcassonne, Raymond de Capendu, Gérard d’Ermenville, se conduisirent fort bien dans cette affaire. Mais je dois dire que le connétable peut être placé au dessus de tous pour sa vigilance, son courage au combat et dans la défense. Quant à la situation dans la région, je vous en décrirai la réalité lorsque je serai placé en votre présence.
Sachez en conclusion qu’en sept endroits, ils commencèrent à miner fortement et que nous avons contreminé partout où c’était possible sans épargner la peine. Ils commençaient à creuser depuis leurs maisons si bien qu’on ne pouvait rien déceler avant qu’ils arrivent à nos lices.
Fait à Carcassonne le 3 des ides d’octobre.
Sachez, Madame, que ces ennemis ont incendié les châteaux et les villages qu’ils trouvaient dans leur fuite.
[1] Le sénéchal est un officier qui représente le roi dans les terres confisquées au vicomte de Carcassonne, Albi et Béziers. Il réside dans le château comtal. Il dirige l’armée, les garnisons des forteresses royales, préside la cour de justice royale et prélève les impôts royaux. Guillaume des Ormes est sénéchal de fin 1239 à février 1243.
[2] Blanche de Castille, mère du roi Louis IX.
[3] Raymond Trencavel, vicomte de Carcassonne, Albi et Béziers, tente de reprendre ses terres dont il a été dépossédé en 1226.
[4] 10 septembre 1240.
[5] Barbacane : ouvrage de défense avancé d’une porte.
[6] Sans doute l’actuel moulin du roi.
[7] Seigneur de Termes dans les Corbières et l’un des principaux résistants à l’autorité du roi de France et de l’Église catholique. Bras droit de Trencavel, c’est un spécialiste de la guerre de siège et à ce titre il dirige sans doute le siège de Carcassonne.
[8] Beau-père d’Olivier de Termes. La guerre est souvent une affaire de famille.
[9] Guilhem de Niort et ses frères appartient à une famille hérétique qui contrôle le pays de Sault et diverses possessions en Lauragais, Razès et Roussillon. Violemment anticléricaux, Guilhem et ses frères sont considérés comme les pires ennemis de l’Église catholique de la région.
[10] L’extrémité sud de la Cité.
[11] Pierre, vicomte de Fenouillèdes, au Sud des Corbières.
[12] Gros engin à contrepoids tirant des boulets jusqu’à 100 kg, pour une portée qui peut dépasser 150 m. Sa cadence de tir est faible (2 coups par heure environ), mais son efficacité contre les murailles est redoutable. Un seul boulet peut percer un mur de 2 m. d’épaisseur.
[13] Pierrière : petit engin actionné par des hommes et un contrepoids fixe, lançant des boulets de quelques kilos à une cinquantaine de mètres. De cadence rapide (jusqu’à 1 coup par minute) mais de portée limitée, la pierrière est très efficace contre les personnes. Un boulet d’un kilo suffit à tuer une personne.
[14] Les mineurs étaient sans doute venus des mines d’argent et de fer qu’Olivier de Termes possédait dans les Corbières.
[15] Lice : enceinte.
[16] Brasse : mesure de la longueur des deux bras étendus. 10 brasses équivalent à environ 16 mètres.
[17] Porte située au sud de la Cité.
[18] Le 6 octobre 1240.
[19] Le 11 octobre 1240.
[20] Couvent franciscain. C’est aux Franciscains et aux Dominicains qu’était confiée l’Inquisition. D’où la haine des insurgés contre ce couvent.
[21] Trencavel leur avait donné un sauf-conduit mais la population les massacra à la sortie de la ville
--Message edité par Seigneur RAIMOND II TRENCAVEL le 2008-02-14 17:08:15--