28 Mars 2008, 00:39
Texte Français
[2756] Le roi Pierre d'Aragon s'en va avec toute sa maison; et il a convoqué tous les gens de sa terre, si bien qu 'il en a grande compagnie et belle réunion. Il a dit et exposé à tous [2760] qu'il veut aller à Toulouse combattre la croisade qui dévaste et détruit toute la contrée. Le comte de Toulouse a imploré leur pitié pour que sa terre ne soit ni brulée ni dévastée, car il n'a tort ni faute envers personne.
[2765] « Et comme il est mon beau-frère et qu´il épousé ma soeur et que j'ai marié ma seconde sceur à son fils, j'irai l'aide contre cette race maudite qui yeut les déshériter »
CXXXII. - « Les clercs et les Français veulent déshériter [2770] le comte, mon beau-frère, et le jeter hors de ses terres, sans qu'il y ait de sa part faute ni tort dont on puisse lui faire reproche; ils veulent le chasser simplement parce que cela leur place. Et je prie mes amis, ceux qui veulent me faire honneur, qu'ils pensent à s'équiper et à s'armer, [2775] car d'ici à un mois je voudrais passer les défilés avec toutes les compagnies qui voudront venir avec moi. Et ils répóndirent: « Seigneur, c'est bien ce qu'il convient de faire; jamais nous ne voudrons contrarier vos volontés.» Aussitôt ils partirent et allèrent se préparer. [2780] Chacun se hata du mieux qu'il put; ils vendent et empruntent pour s'équiper. Le roi mande à tous qu'ils pensent à charger les bêtes de somme et ses chars, car l´été approche et ils trouveront les terres et les prés verdoyants, [2785] les arbres et les vignes commençant à mettre des feuilles. Tandis que le roi d´Aragon pense à bien s'équiper, le comte, celui de Toulouse, se mit à penser qu'il peut aller à Pujols recouvrer la ville...
V. 2789-2886. Le comte de Toulouse rassemble ses soldats (chevaliers, bourgeois et menu peuple), et, avec l'aide du comte de Foix, de Roger-Bernard, fils du comte et du comte de Comminges (Bernard V) va mettre le siège devant la forteresse de Pujols. La forteresse se défend énergiquement; les croisés lancent focs ardens, grans cairos e peiras, sans compter
[2887] Mais quittons-les, car je veux vous parler d'autre chose. Le bon roi d'Aragon, sur son beau cheval, est venu à Muret et il y plante l'oriflamme. [2890] Il a assiégé la ville avec de nombreux et puissants chevaliers qu'il a amenés et fait venir de leurs terres, De ceux de Catalogne il y amena la fleur et d'Aragon il mena de nombreux et vaillants combattants. Ils pensent bien qu'ils ne trouveront nulle part de résistance [2895] et qu'aucun combattant n'osera leur tenir tête. Et il envoie à Toulouse, au mari de sa soeur (Raimon VI) qu'il vienne aussitôt vers lui, en amenant ses vaillants compagnons, et que viennent l'armée et les combattants; car il s'est mis en mouvement pour lui rendre sa terre, [2900] Ainsi qu'a comte de Comminges et à ses parents; puis il marchera sur Béziers de vive force; il ne laissera de croisé dans aucun château ni aucune tour, de Montpellier jusqu'a Rocamadour, sans les faire mourir dans la douleur et la tristesse. [2905] Et le preux comte (de Toulouse), quand il apprit ces nouvelles, ne se mit pas en retard, mais il vint droit au Capitole.
CXXXVI. Le comte, duc et marquis s'en va au Capitole; il leur a dit que le roi (d' Aragon) est venu, qu'il amène du mónde et qu'il a mis le siège (devant Muret); [2910] dehors, devant Muret, les tentes sont en grand nombre, car il a, avec son armée, assiégé les Français. Il dit que nous portions des pierriers et des ares turcs; et quand la ville sera prise, nous irons dans le Carcassés, et nous recouvrerons les terres, car Dieu nous l'a promis ainsi.» [2915] Et ils répondirent : « Seigneur comte, cela va bien, si l'entreprise peut s'achever comme ils l'ont commencée. Mais les Français sont mauvais et durs en toutes choses, ils out des coeurs durs, des coeurs de lion; et ils sont fortement irrités du massacre [2920] de ceux de Pujols, que nous avons mis à mal et tués. Agissons de sorte qu'il ne nous arrive pas malheur.» Aussitôt les courtois joueurs de corne ont fait savoir à l'armée que tous les soldats sortent avec leur équipement complet et qu'ils aillent à Muret, car le roi d' Aragon y est. [2925J Et ils sortent par les ponts, chevaliers et bourgeois, ainsi que le menu peuple; rapidement et à la hâte ils sont venus à Muret, oú ils perdirent leur équipement, beaucoup de bonnes armures et beaucoup d'hommes courtois; et ce fut grand péché (que Dieu et ma foi me viennent en aide!) [2930] et le monde entier en valut moins.
CXXXVII. - Le monde entier en valut moins, sachez-le en vérité, car Parage fut détruit et chassé et toute la chrétienté fut honnie el abaissée. Maintenant apprenez, seigneurs, comment cela arriva el écoutez. [2935J Le bon roi d' Aragon était à Muret tout équipé, ainsi que le comte de Saint-Gilles et tous ses chevaliers, et les bourgeois de Toulouse et le menu peuple ont préparé les pierriers et les ont dressés; et ils combatlent Muret tout à l'entour, de tous Côtés, [2940) de telle sorte qu'ils sont entrés tous ensemble dans la ville neuve. Et ils out tellement pressé les Français qui y étaient qu'ils se sont tous réfugiés au donjon du château. Et voici qu´un messager est venu à la rencontre du roi. « Seigneur roi d' Aragon, sachez en vérité [2945J que les hommes de Toulouse se sont tellement avancés qu'ils ont pris la ville, avec votre permission, et qu'ils ont brisé les planchers et démoli les maissons; et ils ont si bien poursuivi les Français qu'ils se sont tous cachés au donjon du château.
[2950J Quand le roi entendit ces nouvelles, il n'en fut pas content; il est alié aussitôt aupres des consuls de Toulouse et il les a avertis de sa part de laisser en paix les hommes de Muret. « Car, dit-il, si nous les prenions, nous ferions folie; [2955] en effet, j'ai eu en mains des lettres scellées d'après lesquelles Simon de Montfort viendra demain en armes; et, quand il sera venu et enfermé dans Muret et que Nuño, mon cousin, sera arrivé ici, alors nous assiègerons la ville de tous côtés [11960] et nous prendrons les Français et tous les croisés, de maniere que jamais leur dommage ne soit réparé. Puis Parage reprendra partout son éclat; car si nous prenions maintenant ceux qui sont enfermés, Simon s'enfuirait par les autres comtés; [2965] et si nous le poursuivons, la fatigue sera doublée; c'est pourquoi il vaudrait bien mieux que nous fussions tous d'accord pour que nous les laissions tous entrer et puis nous tiendrons les dés; et nous ne les laisserons pas jusqu'a ce que le jeu soit fini : voilà ce que je veux que vous leur disiez. »
[2970] Les jeunes gens vont dire rapidement au conseil principal qu'ils fassent sortir de Muret l'armée communale, et qu'elle n'y brise plus barricade ni palissade, mais qu'elle les laisse debout et (les abandonne) le plus tôt possible, et que chaque soldat s'en revienne rapidement à sa tente; [2975] car le bon roi, au coeur magnanime, leur mande que Simon y viendra avant le soir et il aime mieux le prendre dans la ville qu'en aucun autre endroit. Et les barons, quand ils entendent ces paroles, sortent tous ensemble, et chacun s'en va, à travers les tentes, vers sa demeure. [2980] Petits et grands mangent el boivent. Quand ils eurent mangé, ils virent, par un coteau, le comte de Montfort venir avec sa bannière, accompagné de beaucoup d'autres Français, tous à cheval. [2985] La vallée resplendit de l'éclat des heaumes et des épées, comme s'ils étaient en cristal; je vous le dis, par saint Martial, jamais en une si petite troupe on ne vit tant de bons vassaux. Ils,entrent à Muret, en traversant le marché, ils vont aux logements comme des seigneurs légitimes, et ils ont trouvé en abondance pain, vin el viande. [2990] Puis le lendemain, quand le jour apparut, le bon roi d' Aragon et tous ses chefs sortent [de leur camp] et vont en un pré pour délibérer; le comte de Toulouse et celui de Foix vinrenl également, ainsi que le comte de Comminges, au coeur bon et loyal, [2995J et beaucoup d'autres. barons, Ugo le sénéchal, les bourgeois de Toulouse et tous les artisans; et le roi parla le premier.
CXXXIX. - Le roi parla le premier, car il sait bien parler. « Seigneurs, leur a-t-il dit, écoutez ce que je veux vous démontrer; [3000] Simon est venu ici et ne peut échapper; mais cependant je veux vous faire savoir que la bataille aura lieu avant la nuit; et vous autres soyez prêts à conduire vos troupes; sachez frapper et donner les grands coups; [3005] car même s'ils étaient dix fois autant, nous leur ferons prendre la fuite. » Et le comte de Toulouse se mit a raisonner : « Seigneur roi d' Aragon, si vous voulez m'écouter, je vous dirai mon sentimtent et ce qu'il sera bon de faire : faisons autour des tentes dresser des barrières [3010] de manière que nul homme à cheval ne puisse entrer dans le camp; et si les Français viennent et qu'ils veuillent donner l'assaut, nous avec nos arbalètes nous les blesserons; puis quand ils auront tourné les têtes nous pouvons les p6ursuivre. et nous pourrons ainsi les mettre en déroute complete. »
[3015] Mais Miquel de Luzia dit : « Ceci ne me parait pas bien, que jamais le roi d'Aragon fasse cette mauvaise action; et c'est une tres grande faute, puisque vous avez de la place, si, par votre lâcheté, vous vous laissez déshériter. » - « Seigneurs, dit le cormte, je n'ai plus rien à ajouter;[3020] qu'il en soit comme vous le voulez, car avant la nuit neus verrons bien quel sera le dernier à lever le camp. » Aussitôt ils crient : « Aux armes ! » et vont tous s'armer. Ils poussent leurs chevaux jusqu'aux portes, si bien qu'ils obligent tous les Français à s'enfermer. [3025] Par le milieu de la porte ils jeterent leurs lances, si bien que les assiégés et les assiégeants combattent sur le seuil; ils jettent dards et lances et se donnent de grands coups. Des deux côtés ils font couler le sang, à tel point que vous auriez vu toute la porte vermeille. [3030] Les assiégeants n'ayant pu pénétrer (dans la ville), ils commencent à aller tout droit à leurs tentes; et les voila assis tousensemblc pour diner.
Mais Simon de Montfort fait crier par tout Muret, dans toutes les maisons, de faire seller les chevaux [3035] et de leur mettre les housses, pour voir s'ils pourront tromper les assiégeants. I1 les fait tous aller à la porte de Sales, et quand ils furent dehors Simon de Montfort se mit à leur parler : « Seigneurs barons de France, je ne sais quel conseil vous donner [3040.], mais je sais que nous sommes tous venus nous exposer à un grand péril. Toute cette nuit je n'ai fait autre chose que réfléchir, mes yeux ne se sont pas fermés et n'ont pu reposer; et j'ai trouvé ainsi, dans mes réflexions, qu 'il nous faudra passer par ce sentier [3045], de sorte que nous allions droit aux tentes cornme pour livrer bataille; et s'ils sortent et qu'ils veuillent nous attaquer. mais si nous ne pouvons ras les éloigner des lentes, nous n'avons qu'il fuir tout droit jusqu'il Autvillars. » Le comte Baudouin dit : « Allons l'essayer [3050] et, s'ils sortent, pensons à bien frapper, car il vaut mieux mener une vie honorée que vivre en mendiant. » Aussitôt Folquet l'évèque s'est mis à les bénir. Guillaume de la Barre se mit à les ranger; il les fit diviser en trois troupes [3055] et fit marcher toutes les bannières en tête; et ils vont droit aux tentes.
CXL. Ils s'en vont tous vers les tentes, en traversant les marais, bannières déployées et penons flottants; des boucliers et des heaumes couverts d'or battu, [3060] des hauberts et des épées toute la place resplendit. Quand le vaillant roi d'Aragon les eut aperçus, il s'est porté vers eux avec un petit nombre de compagnons; les hommes de Toulouse sont tous accourus, car ni comte ni roi ne ful obéi; [3065] ils n'ont ríen su jusqu'a ce que les Français sont venus,: ceux-ci vont tous ensemble vers l'endroil ou le roi fut reconnu. Il s'écrie : « Je suis le Roi! » mais il n'est pas écouté; et il fut si durement blessé et frappé que parmi la terre le sang s'est répandu [3070] et alors il tomba mort là tout de son long. A ce spectacle, les autres se croient trahis; l'un fuit d'un côte, l'autre de l'autre; aucun ne s'est défendu: Les Français leur courent sus et les ont tous taillés en pieces, et ils les ont si rudement malmenés [3075] que celui qui en échappe vivant se tient pour miraculeusement sauvé. Le carnage s'étendit jusqu'au ruisseau. Les hommes de Toulouse qui étaient restés aux tentes furent tous désespérés; sire Dalmatz de Creixell s'est jeté dans l'eau [3080] et s'écrie: « Dieu! au secours! un grand malheur nous est arrivé; le roi d'Aragon est mort et vaincu, et tant d'autres barons sont également morts et vaincus que jamais un si grand dommage ne sera enduré.» [3085] Le peuple de Toulouse, les grands et les petits, out couru vers l'eau; ceux qui peuvent passent, mais beaucoup y sont restés; l'eau qui est rapide en a noyé beaucoup, et dans le camp est resté tout leur équipage; [3090] ce grand malheur retentit par le monde, car maint homme resta mort sur le champ de bataille et grand fui le désastre.
CXLI. Le désastre fut grand, ainsi que le deuil et la perte, quand le roi d'Aragon resta, [3095J ainsi que d'autres nombreux barons, mort et sanglant; la honte en fut grande pour toute la chrétienté et pour tout l'univers. Et les hommes de Toulouse, tous tristes et dolents, ceux qui ne sont ras restés sur le terrain et qui se sont sauvés, entrent à Toulouse dans leurs retranchements; [3100] et Simon de Montfort, allègre et joyeux, est resté maître du champ de bataille, oú il eut maints équipements de guerre, et il montre et il expose com-ment il faut partager tout le butin. Le comte de Toulouse est triste et dolent, et il a dit à ceux du Capitol, et cela secrètement, [3105] qu'ils s'accordent [avec Simon] du mieux qu'íls pourront et que lui ira faire ses plaintes au pape : que Simon de Montfort, par ses mauvaises menées, l'a chassé de sa terre avec des tourments mortels. Puis il sortit de sa terre et son fils également. [3110] Les hommes de Toulouse, malheureux et dolents, s'accordent avec Simon et lui font des serments; et ils se soumettent à l'Église completement et à sa merci. Et le cardinal envoya de son côté à Paris au fils du roi de France de venir aussitôt à la hâte; [3115] et il y est venu joyeux et allègrement. Ils entrent tous ensemble à Toulouse, ils prennent possession de la ville et de ses édifices et se logent avec joie dans les maisons. Et les hommes de la ville disent : « Soyons patients; [3120] supportons paisiblemenl tout ce que Dieu veut, car Dieu, qui est notre protecteur, peut nous aider.» Le fils du roi de France, qui consent au mal, Simon, le Cardinal et Folquet ont proposé tous ensemble, dans leur conseil secret, que la ville soit mise au pillage [3=50] et qu'ensuite le feu la dévore. Mais Simon, qui est dur et cruel, réfléchit que s'il détruit la ville, ce ne sera pas à son avantage; il vaut mieux que tout l'or et tout l´argent lui appartiennent. Puis il s'établit entre eux l'accord suivant: [3130] qu'ils comblent les fossés et que nul défenseur ne s'y puisse défendre avec aucune armure; que toutes les tours, les murs et les retranchements soient rasés jusqu'aux fondements. Ainsi fut prononcé et reconnu le jugement. [3135] Et Simon de Montfort resta possesseur de toutes les terres qui dépendaient du comte de Toulouse et de ses fidcles, car celui-ci a été déshérité avec de trompeuses prédications; et le roi s'en retourne en France.
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À nouveau je vous demande des excuses par les erreurs possibles