les cauchemars au MA

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L arbalestrier
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Message04 Avr 2008, 09:34

Petit article que je voudrais faire partager

LES REPRÉSENTATIONS DU CAUCHEMAR AU MOYEN ÂGE
par Marc-André Wagner (ds Etres fantastiques -de l'imaginaire alpin à l'imaginaire humain- Musée Dauphinois Grenoble octobre 2006)


Le cauchemar a été compris comme une personne par nos ancêtres. Chez les peuples indo-européens, les représentations de cet être oppresseur ont un fond largement commun, comme le montre la racine mar partagée par les ter¬mes allemand, anglais et français servant à le désigner.(1)
Dans l'Occident médiéval, le cauchemar est perçu comme « un être indé¬terminé qui se jette sur le dormeur et l'écrase de tout son poids » (C. Lecouteux). Le français moderne cauchemar, apparu au xve siècle, a conservé la trace de cette représentation: ce vocable vient en effet du verbe picard cauquer, « presser, fou¬ler » (cf. latin calcar-e), et du moyen néerlandais mare, « fantôme ». En ancien français, le cauchemar s'appelait pesard ou apesart (du latin pensare, peser). De même, l'anglais nightmare désigne un monstre féminin qui s'appuie sur les êtres humains et les animaux dans leur sommeil: mare désigne en vieil anglais une sorcière. En allemand moderne, (Nacht)mahr est utilisé parallèlement à Alptraum (vision en rêve de l'elfe) et à Alpdrücken (oppression elfique). En vieil allemand, le cauchemar s'appelait mara, comme en vieux scandinave (norrois), avant de devenir mar(e), en moyen haut-allemand; c'était un être tantôt mas¬culin tantôt féminin.
Désigné encore par les termes savants grecs ephaaltes (qui monte dessus) et latin incubus (qui couche dessus) par les clercs du Moyen Âge, le ou la mar(e) est toujours un être nocturne et hostile. On dit qu'il apparaît la nuit dans la demeure des hommes, chevauchant les dormeurs et les rêveurs; il viole les femmes comme incube, serre les enfants jusqu'à l'étouffement, dérange occa- ment aux chevaux dont il entortille les crins.

L’ Église donne le plus souvent à ces croyances une interprétation psychosomatique: les gens du peuple croient être opprimés par une créature réelle, mais il s'agit d'une illusion sans consistance, incarnation nocturne fictive des soucis du jour: c'est l'explication que donne par exemple au XII siècle le cistercien Alcher de Clairvaux dans son traité De spiritu et anima. Mais la prégnance d'une conception du cauchemar comme personne demeure forte pendant tout le moyen Âge, et l'Église semble obligée d'admettre dans certains cas l'action d'êtres réels, qui sont alors assimilés à des sorciers, ou plus souvent des sorcières.
En pratique, on tente de se protéger de l'action de ces maren en recourant à des conjurations ou remèdes peu catholiques. Ainsi trouvons dans le Laece¬boc (c-à-d. Livre des remèdes), un recueil anglo-saxon du ix' siècle, le remède sui¬vant: « Si une mar chevauche un homme, prends des lupins, de l'ail, de la bétoine et de l'encens, attache le tout sur une peau de faon; qu’un homme prononce dessus les mots qu’il faut, et qu'il rentre chez lui. »
Du nord au sud de l'Europe, l'homme médiéval a donné un visage com¬parable au cauchemar, sans doute parce qu'il était hanté avant tout par les morts. En effet, tant les synonymes et gloses utilisés par les clercs que les témoignages des chroniques indiquent que le cauchemar est fréquemment un revenant. Et selon les étymologistes, le vocable ma(h)r peut provenir de deux racines indo-européennes: *mer- (écraser) mais aussi *mer- (mort).
Si le cauchemar apparaît comme un être nocturne qui oppresse et qui écrase dans toutes les traditions européennes, il a une dimension équine ou équestre plus prononcée dans l'univers germanique, où il piétine ou chevauche plus fréquemment sa victime.(2)
L'image du cheval est associée au cauchemar parce que cet animal est par excellence celui qui foule, qui écrase et qui chevauche: du cheval au cauche¬mar, on passe de l'être chevauché à celui qui chevauche et qui piétine.
Un témoignage littéraire de la Scandinavie du XIII siècle relate comment une mara attaque de nuit un homme regagnant sa maison: dans la Saga de Snorri le Godi, chap. XVI, la magicienne Geirridr est soupçonnée d'avoir che¬vauché, c'est-à-dire ici tourmenté, Gunnlaugr, retrouvé en pleine nuit évanoui devant la maison de son père. Le verbe utilisé pour cette chevauchée, kveld¬rida, signifie littéralement « chevaucher le soir,,, c'est-à-dire faire de la sorcel¬lerie, « maléficier ».

Dans une longue « bénédiction pour la nuit » de la fin du Moyen Âge alle¬mand, le passage visant à protéger
du cauchemar (appelé successivement elfe, mar et trud) développe l'action équine et équestre de cet être:
elfe et petit elfe,
ne restez pas plus longtemps ici!
sœur et père d'elfe,
vous devez sortir par la grille!
mère d'elfes, trud et mat,
sortez par le toit!
que la mar ne m'écrase pas,
que la trud ne me tiraille pas,
que la mar ne me chevauche pas,
que la mar ne me piétine pas!

(MünchenerNachtsegen,XV` siècle)

On peut dès lors émettre l'hypothèse que l'image de la chevauchée par le cauchemar est liée d'une manière ou d'une autre a la représentation de mala¬dies à forme équine dans la langue allemande. En effet, au milieu du Moyen Âge, sont appelées rite, ritt (un terme signifiant d'abord « fièvre », puis égale¬ment, à partir de la fin du Moyen Age, « chevauchée ») de nombreuses mala¬dies, et spécialement diverses affections accompagnées de tremblements, au premier rang desquelles on compte bien sûr la fièvre.
Un écho de l'association du cauchemar avec le cheval se retrouve dans le Cauchemar de Füssli de 1781, conservé au Detroit Institut of Art, on la tête d'une jument livide apparaît entre les rideaux tandis que le mur, sous la forme d'une créature velue et simiesque oppresse la poitrine de la jeune femme endormie. Ce « cheval fantôme, peut être compris comme la monture du mar, comme il ressort explicitement d'une autre toile datée de 1793 et intitulée Le cauchemar quitte la couche de deux jeunes filles endormies (Zurich, Mural¬tengut). Mais ce cheval livide est sans doute aussi plus fondamentalement un signe prémonitoire de la mort: le cheval est en effet, inter alia, un démon de la mort, tout comme le mar.


1. Cet article doit beaucoup aux recherches du professeur Caude Lecouteux:
« Mara, Ephialres, Incubus: le Cauchemar chez les Peuples germaniques », Etudes Germaniques 42 (1987), p.1-24;
« Le Double, le Cauchemar, la Sorcière » , Et. Germ.. 43 (1988), p. 395-405. Ces analyses ont été rééditées sous une forme remaniée dans C. Lecouteux, Au-delà du Merveilleux.
Des croyances au Moyen Âge, Paris, 1995.

2. le rôle particulicr du symbolisme du cheval dans le cauchemar n'a pas, d’origine ou de retombée malgré des hypothèses, séduisantes, mais erronées, comme, en allemand. le rapprochement de mara avec
le germanique marah »cheval », ¬(envisagé par ) Jacob, Grimm), la traducrion de l'anglais niqhtrnare par « jument de la nuit » par Ernest Jones dans son essai On the nightmare (1931) ou enfin le rapprochement
 du deuzième terme du Français cauche-mar avec le norrois marr, « cheval ».

--Message edité par L arbalestrier le 2008-04-04 10:38:34--


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