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Quelle poignée pour une épée du XIIIe siècle ?

MessagePublié: 13 Déc 2014, 10:52
par Guillaume de Pensac
LES FUSEES DES EPEES MEDIEVALES

Quand on a la chance de trouver, en fouille terrestre ou subaquatique, une épée médiévale, celle-ci est généralement dépourvue de sa poignée. Pour les épées munies d’une soie, la poignée était généralement constituée d’une fusée de bois, collée sur la soie et revêtue, ou non, de cuir. Avec le temps, la poignée en matériau périssable a disparu.
Mais quelle était donc la forme de ces poignées ou de ses fusées ?

Les fusées, en bon état, retrouvées sur les épées du Moyen Âge ont deux formes distinctes.
Soit elles sont droites, en s’amincissant vers le pommeau, soit elles sont enflées en leur milieu. D’ailleurs il semblerait que le mot « fusée » vienne du mot : « fuseau ».
Comme je ne suis ni Maître d’Armes et ni escrimeur, j’ignore le pourquoi de cette différence

Auriez-vous une explication rationnelle à me donner ?

A priori, les premières poignées d’épées du bronze moyen et du bronze récent avaient toutes la forme de fuseau.
Il est fort probable que le combat à l’épée dans l’antiquité faisait appel à une tenue vigoureuse de l’arme et que pour cette raison, la forme en fuseau de la poignée était la plus appropriée.

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Mais, à partir du milieu du moyen Âge, l’iconographie nous montre pratiquement que des épées à poignées droites, non enflées.
Or, au XIIIeme siècle, les poignées fuselées reviennent coexister avec les poignées droites.

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Epée, à fusée droite, des sacres des rois de France.

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Epée de Sanche de Castille, à poignée fuselée.

Existait-il (au XIIIeme siècle) plusieurs façons de tenir son épée ? Cela correspondait-il à la pratique de plusieurs types d’escrime en vigueur en occident ?

Gaël Fabre, forgeron d’épée, me dit : « Je ne sais pas si ces formes jouent sur le style de combat. Il est possible que chacune offre un confort différent à l’usage. Pour ma part, je préfère souvent travailler sur les formes droites, comme ton épée. Je ne pratique plus l’escrime depuis une dizaine d’années, mais ce type de fusée me met plus à l’aise ».

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Interprétation par Gaël Fabre de la poignée d’épée réf. 80-87-4 du Musée Denon.
Curieusement, au XVeme siècle, les poignées droites des épées disparaissent et redeviennent fuselées.
Pourquoi ?
Assiste-t-on à cette époque à un seul style d’escrime et à une seule façon de tenir son épée ?

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Epée du XVeme siècle à poignée fuselée.

Est-ce que les spécialistes du maniement de l’épée, pourraient m’éclairer ?

Re: Quelle poignée pour une épée du XIIIe siècle ?

MessagePublié: 14 Déc 2014, 14:12
par Eginhard
Cette observation que tu fais sur les fusées peut être mise en corrélation avec les longueurs ainsi que les largeurs des lames, qui n'ont pas cessé de changer (épées plus ou moins longues et larges selon l'époque).

Perso je penche plus pour le confort d'utilisation et les préférences personnelles de l'utilisateur. Pour moi, le type d'escrime dépends plus de la longueur de la fusée que de la forme de cette dernière (vois à l'heure actuelle, ce qu'il en est en escrime pour les épéistes entre les adeptes des "manches ergonomiques" et ceux des "manches classiques").

Re: Quelle poignée pour une épée du XIIIe siècle ?

MessagePublié: 14 Déc 2014, 15:53
par Guillaume de Pensac
Merci Eginhard pour ton point de vue qui ne manque pas d’intérêt.

C’est parce que je suis incapable de mettre en corrélation la forme des fusées avec la forme et dimension des épées que je me pose toutes ces questions.
En effet, pendant 2000 ans, du bronze moyen jusqu’au début du Moyen Âges, les fusées sont fuselées. Pendant une bonne partie du Moyen Âges, jusqu’à la fin du XIIIe siècle, les fusées sont généralement droites. Puis à partir du XIVe siècle, elles redeviennent fuselées.

Mais est-ce que la forme fuselée de la poignée ne serait-elle pas plus appropriée à une tenue en main pour frapper d’estoc et la forme droite, plus appropriée pour frapper de taille ? Cela serait en corrélation avec les 3 périodes que je cite.

En ce qui concerne la forme fuselée, Jean-Marc Point me dit : « … forme intéressante car la partie enflée permet une bonne préhension en gardant la poignée dans le centre de la main. C’est une forme appropriée à l’estoc, avec déverrouillage du poignet dans le prolongement de l’index et de la lame ».

Re: Quelle poignée pour une épée du XIIIe siècle ?

MessagePublié: 18 Déc 2014, 10:08
par Tancrède
Je suis du même avis: pour moi la forme de la poignée dépend de l'escrime que l'on pratique: si on frappe d'estoc, une forme fuselée (et si possible de section octogonale et non ronde (ou au moins avec des arrêtes, comme sur les glaives romains, permettant de tourner l'arme dans la plaie avant de la ressortir) semble préférable. Une poignée droite est très bien pour la frappe de taille en revanche.

Re: Quelle poignée pour une épée du XIIIe siècle ?

MessagePublié: 19 Déc 2014, 18:10
par Guillaume de Pensac
Il peut être admis que la poignée fuselée d’une épée était appropriée aux coups d’estoc que l’on pouvait porter à son ennemi. Cela nous laisse penser qu’on s’est servi de cette arme de cette façon durant deux millénaires avant le Moyen Âge puis, après celui-ci.

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Jusqu’à la fin du XIIIème siècle, l’épée était utilisée pour tailler. On s’en servait comme d’un sabre et c’est pourquoi la poignée avait la même forme droite, de section ovale.
Mais à la fin du XIIIème siècle, période de transition de l’épée, l’arme est devenue plus pointue pour être utilisée d’estoc. Vers 1295, coexistent encore des épées à poignées droites pour tailler et des épées à poignées fuselées plus adaptées à une nouvelle façon de combattre face à un adversaire protégé par des plaques de fer.

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Les épées du Moyen Âge ont généralement des fusées droites dont les bords vont en s’amincissant vers le pommeau

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Est-ce que cet amincissement permet plus de précision à l’escrimeur dans les coups de taille en donnant plus de liberté à son poignet au niveau de l’os scaphoïde ?
Quel est votre avis ?

Re: Quelle poignée pour une épée du XIIIe siècle ?

MessagePublié: 20 Déc 2014, 14:18
par Guillaume de Pensac
Il est fort probable que pendant la presque totalité du Moyen Âge le combattant s’est servi de son épée comme il aurait pu se servir d’un sabre. La poignée droite de son épée était parfaitement adaptée à ce type d’escrime. Mais vers les années 1290, il semblerait que tout change. La protection traditionnelle de mailles laisse la place au jacques, à la brigantine et aux plaques de fer. De ce fait, les coups de taille deviennent de moins en moins efficaces et sont remplacés par les coups d’estoc plus meurtriers. Parallèlement, la lame de l’épée devient de plus en plus pointue.
Vers la fin du XIIIème siècle, pour assurer sa survie, le combattant doit revoir entièrement toute sa façon de combattre et c’est peut être pourquoi les traités sur les techniques du maniement de l’épée sont rédigés à partir de cette époque (Del Serpente, « De l’art de l’escrime », Milan 1295). D’autres ouvrages suivront pendant tout le XIVème siècle.
Ce changement de forme des fusées d’épées (vers 1290) n’est pas une chose anodine. Cela nous indique qu’on ne se bat plus en se servant de son épée pour tailler, mais au contraire, pour estoquer.

Re: Quelle poignée pour une épée du XIIIe siècle ?

MessagePublié: 20 Déc 2014, 18:03
par Tancrède
Je pense que les épées XIème, XIIème et début XIIIème pouvaient également être utilisées d'estoc, vu leurs pointes très affutées, mais ce n'était pas, en effet, leur fonction première, étant des armes de cavaliers principalement: les coups de taille étaient privilégiés. De plus, le couteau semble avoir été très répandu, notamment pour les coups d'estoc en combat rapproché.
La maille protège très bien des coups de taille et assez bien des estocs (à condition d'avoir un renfort en cuir ou rembourré en dessous), mais elle est réservée à l'élite à cheval aux XIème et XIIème ou à quelques sergents, la plupart des combattants ne portant quasiment aucune protection. Les épées étaient parfaitement adaptées à leur utilisation dans la cavalerie.

A mon avis, le changement n'est pas du aux changements d'équipements protecteurs (ou alors simplement au fait que de plus en plus de combattants portent des protections, notamment les soldats à pied), mais plutôt à plusieurs facteurs: la généralisation de l'épée chez les fantassins et dans l'escrime "civile", l'utilisation de plus en plus répandue du fauchon comme arme de taille en remplacement de l'épée, la fabrication d'épées de différents types et adaptées à chaque utilisation: épées courtes d'estoc, épées longues de taille, épées à deux mains...

Re: Quelle poignée pour une épée du XIIIe siècle ?

MessagePublié: 21 Déc 2014, 18:28
par Guillaume de Pensac
Merci Tancrède pour l’intérêt que tu portes à ce sujet.

Il est évident que les épées du IXème jusqu’au début XIIIème pouvaient également être utilisées pour frapper d'estoc alors que leur fonction première était de porter des coups de taille. Nous sommes bien d’accord.
« le couteau semble avoir été très répandu, ». Peut-être dans les Sud-Est, mais nous n’en sommes pas certains pour le reste de la France.

En effet, dans les collections des armes médiévales du Musée Denon, trouvées en fouilles subaquatiques, nous possédons beaucoup d’épées mais nous sommes dépourvus, pour la période antérieure au XIVème siècle, de couteau et de fauchon.
Pour cette période fin XIIIème siècle, nos épées ont à peu près la même taille. L’épée à deux mains et l’épée courte d’estoc sont inexistantes.

Est-ce que cet armement est typique de la vallée Saône-Rhône ?
Je vais donc me renseigner auprès de mes collègues des autres musées.

Re: Quelle poignée pour une épée du XIIIe siècle ?

MessagePublié: 21 Déc 2014, 18:52
par Tancrède
Merci à toi de lancer ce type de sujet intéressant.
Pour les sources de couteaux, il faut un peu sortir des habituels iconographies ou sources archéos et se pencher plutôt sur les sources écrites qui nous renseignent beaucoup sur l'armement, les tactiques et les techniques de combat: pour la Première Croisade, par exemple, on a que de la source textuelle comme source directe, donc on est habitué.
Pour le XIIIème, tu as par exemple le récit de la bataille de Bouvines qui précise bien qu'un chevalier français attaque l'empereur Othon avec un grand couteau en lui donnant un coup dans le torse. Ce chevalier avait aussi une épée, mais pour le combat rapproché et pour tenter de percer la maille de son adversaire, il lui fallait un couteau. Cependant, ça n'a pas marché car l'empereur portait une protection supplémentaire sous sa maille: certainement une pansière, comme celles qui sont citées dans les arsenaux de la fin XIIème ou du début XIIIème.
Il faudrait chercher dans les textes de l'époque pour avoir plus de sources.