30/12/2006
LES NOUVEAUX MYSTERES DES CATHEDRALES
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Des culs sur les chapiteaux ! Des fesses tendues dans les stalles, des pétomanes au pied des jubés, de douteux attouchements dans les cintres, des seins nus au-dessus des ogives, des ventres offerts sous les portiques, des sexes brandis sur les piliers, des couples lubriques dans les narthex, des étreintes fougueuses dans chaque déambulatoire, des diables obscènes dans tous les bénitiers. Sous les travées, le dévergondage. Où ça ? demanderont les uns avec effroi, les autres avec curiosité; dans des temples de l’Inde, sur des toiles de Clovis Trouille, dans l’imagination sacrilège d’une jeunesse moderne qui ne croit plus en rien ?
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Eh bien, ces trente-deux mille positions peuvent être observées, tous les jours que fait le bon Dieu, dans des lieux respectables comme les cathédrales de Rodez, de Troyes, de Saint-Claude ou de Poitiers, ou comme les églises de Loctudy, de Courpiac, de Payroux, de Verac, de Montbenault, d’Aillas, de Saint-Marcel, de Semur-enAuxois, de Saint-Vaast-de-Longmont, et j’en passe. En France. Sur des monuments historiques. Non, ce ne sont pas des graffitis blasphématoires, mais des sculptures de bois ou de pierre, amoureusement façonnées par des artisans médiévaux, les bâtisseurs de cathédrales, ces hommes que leur foi intense portait à célébrer Dieu et les saints par des édifices d’une admirable pureté...
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On peut concilier le Moyen Age si vertueusement pieux des manuels et des traditions et l’aspect moins conventionnel offert par ces figurines lubriques qui grimacent dans les coins, en consultant— images et texte — un livre étrange et admirable paru récemment aux très sérieuses Presses universitaires de France. Il renferme d’innombrables trésors, cet Art profane et Religion populaire au Moyen Age ; récits et documents, références et commentaires, et surtout une multitude d’illustrations déroutantes, provocantes et stimulantes, dont un échantillon est présenté ici.
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L’ouvrage a pour auteurs deux passionnés, Claude Gaignebet et Jean-Dominique Lajoux, qui avaient déjà droit à la reconnaissance de l’humanité pour leurs travaux fondamentaux sur le folklore obscène des enfants et sur les fresques du Tassili. Ils se sont retrouvés quelque part à mi-chemin de ces deux sujets, et il en résulte aujourd’hui une nouvelle oeuvre maîtresse. Comment ! diront les grincheux, comptabiliser les orifices figurant sur les édifices, c’est vraiment un travail sérieux ? Mais oui, au même titre qu’établir des listes des représentations de la Vierge. Et c’est nettement plus original, tout en étant plus naturel aussi (les gens obsédés par le sexe courent les rues, alors que les fanatiques de la virginité sont moins communs). On ne pense d’ailleurs pas qu’à ça dans ce gros livre, qui a aussi des chapitres consacrés à la topographie légendaire, à Merlin l’Enchanteur, aux esprits des arbres et du blé et à vingt autres sujets; mais vous avouerez que ces thèmes auraient fourni de moins belles illustrations !
de Pierre ENCIELL
L'Evènement du jeudi - 22 au 28 août 1985
Art profane et religion populaire au moyen âge, P.U.F, 1985, 363 p, de Claude Gaignebet et J.-Dominique Lajoux.