Les Almugavares, Jep Pascot, édition elzédir-séquoia.
-Que signifie leur nom ?
Avec l’étymologie, nous remonterons aux sources. Almugavar viendrait du mot arabe al-mogavar, ou al-moughâvar, qui signifi proprement celui qui fait des raids, d’où les dérivés algara, en espagnol, algarade, en français. Une seconde hypothèse voudrait qu’il fut issu du mot arabe al-muhavir (ou al-moukhadir), substantif qui veut dire celui qui apporte des nouvelles.
-Descrïption :
Quoi qu’il en soit, le mot n’apparaît dans les textes qu’aux XIIIe et XIVe siècle. Desclot, Montaner, Jaques Ier d’Aragon, Pere III , en font largement mention dans leurs chroniques. Desclot, historien catalan du XIVe siècle, décrit ainsi les Almugavares :
« Ce sont des gens d’armes, ne vivant que de cet état, hors des cités et des bourgs, dans les montagnes et les bois, qui guerroient sans cesse contre les Sarrasins, pénétrant dans leurs territoire pour y effectuer des razzias et enlever des prisonniers. Ils sont rudes et frugaux ; ils peuvent endurer des fatigues et des sacrifices que nul autre guerrier ne pourrait supporter, rester deux jours sans vivres ou bien ne manger les herbes et les racines du sol. Ceux qui les guident, les adalils, ont une connaissance très sûre des chemins et des terres. Leurs vêtements se composent d’une tunique courte, été comme hiver, de culottes de cuir très serrées et de chaussures de montagne, de cuir également.
A leurs ceinture pend une bélière ou ils attachent une pierre à feu. Leur armement consiste en un fort couteau de combat, une longue épée, une lance et des flèches. Ils portent sur la tête une sorte de casque protecteur (1) fait d’une calotte de fer maintenue par une résille de fils entrecroisés en guise de coiffe. Un sac de cuir leur permet de transporter vivres et outils et complète leur équipement. Ils sont Catalans, Aragonais et montagnards. »
Pour Desclot, l’origine des Almugavares est donc bien définie, Muntaner, qui immortalisera leur nom, ne leur en connaît pas d’autre.
(1) Casque qui préfigurait la « salade » des troupes du XVe siècle.
Sans doute le même type de guerrier est-il apparu en d’autres régions de la péninsule ibérique. Sous le même nom ou l’appellation de peones, ceux-ci font l’objet de textes qui figurent dans le Code de lois de Castille, sous Alphonse X le Sage. Desclot dans sa Crónica, nous parle aussi de golfins, en Galice et en Castille, qui leur ressemblent en bien des points. Mais, c’est au fur et à mesure que s’exerçait la pression des chrétiens sur les Maures, que se développait la Reconquista, que l’Almugavare, mot aussi bien que le combattant que ce mot désignait, fit son apparition. Or c’est à partir de la marche d’Espagne créée par Charlemagne sur les confins pyrénéens, en Catalogne et Aragon, qu’à débuté – à proprement parler- la Reconquista. C’est donc bien là, originellement, que sont nés l’almugavare et l’almugaveria, cette course sur les frontières », selon l’expression de Francisco de Montcada.
Peu importe, dès lors, de savoir si ce sont les Espagnols qui ont emprunté le mot aux Arabes pour qualifier ceux d’entre eux qui allaient en almogaveria, ou bien inversement si les Maures ont désigné ainsi leurs adversaires chrétiens.
En tout état de cause, et bien qu’il n’ait été fixé dans les textes qu’aux XIIIe et XIVe siècles, le nom d’almugavare remonte à la plus haute époque du Moyen Age. Il était connu dès le début du IXe siècle. Il est cité comme le patronyme d’un chef andorran, celui-là même dont s’est emparé la légende, qui, à la tête de guerriers montagnards, aurait facilité à Charlemagne et à ses lieutenants leur marche difficile contre les Maures, à travers les Pyrénées. On sait que la tradition attribue la fondation de la seigneurie d’Andorre à l’empereur des Francs ;Charlemagne aurait voulu récompenser ainsi la conduite des Andorrans et de cet Almugaver, leur chef.
Pour nous, il ne fait pas de doute que le nom d’almugavare fut appliqué, en premier lieu, sur les limites mouvantes de la Marche d’Espagne, là où s’exerçait l’action même qu’il définit, à ces volontaires chrétiens isolés qui , agissant pour leur sécurité, ou bien à la requête et à la solde du seigneur, s’infiltraient à l’intérieur des lignes maures ennemies pour recueillir des renseignements.
Les premiers Almugavares, nous les voyons parmi ces hommes que les chartes carolingiennes dénommaient pobladors. Ceux-ci était chargés de peupler, poplar (1), les régions devenues désertiques à la suite de l’exode de leurs populations devant l’invasion, et non encore réoccupées, alors que l’Arabe en avait été chassé, en raison du danger que la proximité de l’ennemi faisait peser sur leurs territoires. Dans ces « zones frontières » où l’host n’était appelé à combattre que par intermittence, sur levées ou convocations, au nom de l’usage princeps namque, l’action permanente et continue exercée par les pobladors apparaît comme une action d’almugaveria, c’est-à-dire d’incursions, d’algarades, de coups de main. Aussi bien, ceux-ci méritaient-ils le qualificatif d’almugavares et durent- il être les premier à le porter.
On sait que le recrutement des pobladors par les seigneurs contes de Barcelone ou le souverains franc ne put s’accomplir qu’au moyen de faveurs et de privilèges exceptionnels : exemption d’impôts, immunités de toutes sortes, et surtout, pardon des délits et des crimes. On voit à qui s’adressait un tel recrutement. On imagine ceux qui y souscrivaient. Les Almugavares avaient de qui tenir !
(1) Alart (privilèges et titres relatif aux franchises, institutions et propriétés communales de Roussillon et de Cerdagne) – Voir aussi « Grandes heures du Roussillon » du même auteur.
Chez les plus humbles, les plus rudes, l’esprit nourrit toujours un idéal. Pour les Almugavares, c’était un idéal de soldat, d’hommes d’armes, qui se traduisait essentiellement par un comportement exemplaire sur le champs de bataille. Le combat était leur religion ; ils s’y préparaient avec gravité, mysticisme ; souvent, ils communiaient la veille de se battre ; d’autre fois, avant de pousser leur cri de guerre « Aragó ! Desperta ferro ! » (1), ils partaient en chantant le salve regina.
(1) « Aragon, fer réveille toi ! » ou « Aragon, sus aux armes ! » - littéralement : « Aragon, réveille-toi, frappe ! »
La société que les almugavares constituaient, avec sa hiérarchie d’almogatens, adalils, de capdills, de capitaines ; son conseil où cadres de troupe étaient représentés, son administration particulière ; ses Chancellerie, Sceau, Intendance et Trésor ; son équipement et son armement distincts des autres, sa suite pittoresque et hétéroclite de femmes, d’enfants, de ribaudes ; avec ses enseignes et ses étendards était devenue empiriquement une République militante.